La promenade

La pluie venait de cesser et le soleil, après avoir percé le matelas de nuages gris et blancs, semblait plus chaud, l’air plus transparent que jamais. David, un lutin né dans la lande une vingtaine d’années auparavant, eut envie d’aller se promener avec son amie Kate.

- Tu verras, lui dit-il. Après la pluie, la terre est molle et chaude et, pieds nus, c’est génial, on a l’impression de marcher dans de la pâte à pain.

- Ah! Parce que tu as déjà marché dans de la pâte à pain ? demanda Kate.

- Mais Kate! C’est une expression! dit David, déçu, car il aimait l’image de ses petits pieds nus - et ceux de Kate - dans de la pâte à pain. Tu comprends très bien ce que je veux dire!

- Non, dit Kate.

- C’est comme lorsqu’on dit ” confus comme un hibou”, dit David.

- On dit “confus comme un hibou” ? demanda Kate qui découvrait cette expression.

- Les lutins belges le disent, en tout cas, dit David. C’est comme “pleurer comme une Madeleine”.

- Depuis quand les gâteaux pleurent-ils? demanda Kate.

- C’est vrai, dit David. Au fond, je n’y avais pas pensé. Tu as raison, les gâteaux ne pleurent pas, c’est idiot.

David savait très bien que cette Madeleine-là n’était pas un gâteau, mais il voulait avoir cinq minutes de paix et surtout, il voulait que Kate accepte de venir avec lui marcher pieds nus sur la terre chaude de la lande.

- Alors, tu viens avec moi marcher pieds nus ?

- Me promener, oui, mais pourquoi pieds nus ? fit Kate.

David abandonna.

- Bon, ça ne fait rien, dit-il.

Et il rentra chez lui. Trois minutes passèrent. Kate frappa à la porte de David. Personne ne répondit.

-Alors, on y va, sur cette lande ? demanda-t-elle sans entrer. David n’entendit pas Kate l’appeler. Elle le fit à plusieurs reprises. Mais il était déjà sorti par-derrière et marchait tout seul vers la mer. Il n’avait pas ôté ses souliers. Un plaisir comme ça devait se partager, pensait-il.

Grégoire Solotareff, Contes d’été, éd. Ecole des Loisirs, Coll. Neuf - 2001

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