more about “Running Away”


     Il vient de loin, à petits pas, soulève la poussière du chemin et s’approche de nous, titubant et grotesque, les bras tendus en une supplique muette. Puis il gémit, s’assied sur une pierre et pleure. Le silence s’ensuit, lourd de questions ouvertes. De sourds grondements naissent de sa poitrine et, dès lors, il chante, une mélodie pervertie à la récurrence tourmentée. Que faire sinon attendre qu’il nous parle, demande sa route, un verre d’eau ou l’asile pour la nuit ? Mais, déjà, sa voix s’est affermie. Il nous fustigerait presque, déçu qu’on ne l’ait pas encore compris, qu’on n’ait pas entendu qu’il ne faisait que passer et que, de cris en soupirs, ce n’est pas à nous qu’il s’adresse, mais à cette montagne, là-bas, au pied de laquelle il a décidé de creuser un trou pour mieux s’y étendre et mourir.

     Il nous en racontera, pourtant, des histoires à n’en pas croire son propre entendement, des cordes disloquées qui sonnent mieux après qu’on les a humiliées, des meubles fendus en leur centre d’où s’échappent encore les fantômes d’un passé flamboyant, des souvenirs d’un temps où la musique obéissait à d’inamovibles règles et l’urgence d’une révolution qui, de répétitions en silences, déboulonna les certitudes les mieux affirmées.

     Quand il nous eut dépassé, lorsqu’il eut rejoint le lieu de sa quête, il s’arrêta, embrassa la terre et creusa longtemps, avec rage et acharnement, un trou assez grand qui puisse les accueillir, lui et son instrument. Et l’herbe repoussa, enrichie de cet engrais imprévu, épais, saturé de mémoire et d’imaginaire.

     La seule fois que je vis Guillaume Viltard, auprès du saxophoniste Jack Wright et de l’électroniciste Grundik Kasyansky, je n’eus d’oreilles que pour cette contrebasse grinçante qui arrachait le son à la terre même, comme si l’instrumentiste avait souhaité s’y enfoncer à jamais. Et c’est exactement ce que je ressens à l’écoute de ce solo capté en mai 2008 au Local et dans la Forêt de Bouconne : une opiniâtreté dans la recherche qui ne faiblit jamais et dénote aussitôt la marque d’un artiste profondément authentique. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’Heddy Boubaker ait souhaité inaugurer son nouveau label avec un tel artiste ! Sa démarche mérite amplement les attentions qu’Un Rêve Nu porte à ses productions : un objet unique, illustré d’une œuvre picturale élaborée dès la rencontre entre la plasticienne et le musicien, édité à peu d’exemplaires et destiné à durer bien longtemps après que les fichiers numériques du temps qui passe aient succombé au grand bug…

     Et si l’ouvrage semble un peu cher à certaines bourses (30€, ce n’est rien, mais il faut les avoir…), on peut encore en télécharger gratuitement le contenu musical sur le site d’Un Rêve Nu 

 

Joel Pagier, Improjazz janv. 2010

————————–

J’espère que ça ne va pas faire trop de premières d’un coup : Running away est le premier disque du label « Un rêve nu ». C’est le premier disque (à ma connaissance) du contrebassiste Guillaume Viltard et enfin, pour moi, la première critique.

Non ça ne m’est pas venu comme ça, c’est une proposition de R&C. Ça ne m’est pas réservé. Une critique faite par un musicien pratiquant le même instrument. Une bonne idée. Surement. Ça fait maintenant un moment que je tourne autour du disque et puis bon… C’est donc un commentaire de musicien, de contrebassiste.

Ce disque est l’issue sonore et picturale d’une proposition du label à Guillaume Viltard, et ce que nous entendons est en quelque sorte un choix collectif, même si bien sur c’est Guillaume qui joue. Les morceaux, ou plutôt les moments choisis le sont par Guillaume Viltard, Heddy Boubaker et Nicolas Carrière qui s’est aussi occupé de tout le son (prises, mixage, mastering etc). Pour en finir avec les détails, qui n’en sont pas toujours, le disque a été enregistré en multi-microphonies. Ce qui nous est donné à écouter est un choix entre plusieurs prises simultanées d’endroits différents.

Parfois on ne sait pas trop ce que c’est. C’est bon. C’est du son. C’est une oreille (une pensée) à l’affut de ce que des doigts (combien ?) ou un archet produisent, ou les deux, et nous invite à nous promener là dedans, dans le comment il les tord, comment il s’en amuse, s’en détourne, les abandonne. Et puis les reprend. Il y a des moments ou l’on est vraiment surpris de ce que sort cette bonne vieille contrebasse et c’est magique.

La prise de son est très bonne. Par contre, je suis gêné par l’équilibre dans les prises extérieures entre les deux sources sonores, les sons ambiants et ce qui est joué. C’est bien sur très intéressant de se déplacer, de se baigner dans des sons dont on va s’imprégner pour notre jeu. A un moment on a vraiment une sorte d’agonie de vieux vaisseau (cachalot) dans la forêt qui est d’une étrangeté superbe.

Parce que, je ne sais pas vous, mais quand j’écoute un disque ou un concert, je cherche toujours ce qui est à l’origine de ce que j’entends. Par ce qui est à l’origine, je veux dire pourquoi la ou les personnes font ces choix. Et je peux partir loin dans le comment, pourquoi… Vous l’aurez compris, je ne suis pas trop d’accord avec ceux qui disent que l’art n’a pas de message, n’est pas politique etc… Même si tout ça est à bien peser. Mais donc là en l’occurrence ce qui me gêne, c’est que j’ai l’impression que ce que j’entends, n’est pas ce que Guillaume entends (des résonances locales qui ne doivent pas aller jusqu’à ses oreilles ou bien moins, des bruits secs qui jaillissent dans le micro…). Et comme moi ce qui me passionne c’est son voyage, comment il le mène. Eh bien des fois ça me met comme une distance.

Alors peut être que là  on arrive à la question : « comment parler exactement du disque ? »

Pour la réalisation de l’objet, très beau travail de mise en forme de la peintre Zéhavite Cohen, peintures différentes sur chaque disque et chacune des deux plaques de bois encadrant le C.D.

Pour la musique s’agit il d’une vision du travail solo de Guillaume Viltard ou d’un disque solo ? J’ai envie de dire que ce n’est pas complètement un disque solo. C’est expliqué sur le site internet. Mais rien sur le disque sinon le lien vers le site internet. Il faudrait que cet aspect soit plus explicité sur le disque lui même. Sans gacher le travail de la plasticienne. Pas facile sans doute.

Benoit Cancoin

Revue & Corrigée dec 09

« about “Running Away” (again) -- feb’10 news »